Les All Blacks ont eu fort à faire en ce début de Rugby Championship très disputé. Après la centième cape d’Ardie Savea et la défaite historique face aux Springboks (43-10 à Wellington il y’a deux semaines), l’équipe traverse des soubresauts et des moments difficiles avec ses supporters. Entre critiques de Scott Robertson, sélectionneur des All Blacks, pointage de joueurs dans la presse et sur les réseaux, le bateau néo-zélandais tangue à la suite de la « véritable raclée » (terme utilisée dans la presse néo-zélandaise comme le New Zealand Herald). Nul doute que l’équipe des kiwis devra s’appuyer sur ses forces vives pour la suite de la compétition, dont son centurion : Ardie Savea. Auteur de 31 essais sous le maillot noir, le joueur n’a plus besoin d’être présenté. Mais connaissez-vous bien l’Homme derrière le All Blacks ?

Un joueur qui se distingue sur le terrain et un leader naturel
Ce n’est un secret pour personne : Ardie est un joueur qui impressionne par ses performances. Athlétique, intelligent et passionné : son profil hyperactif fait de lui un joueur indispensable de l’effectif All Blacks.
Mais il est aussi un leader hors pair. Un joueur qui implique les autres et donne envie de le suivre. Wallace Sititi, jeune pépite néo-zélandaise au poste de troisième-ligne centre, l’exprime d’ailleurs très bien : “C’est une personne spéciale, un membre spécial de notre équipe qui mène les avants. Il a révolutionné le poste de troisième ligne et c’est quelqu’un de qui je tire de l’inspiration.”
Le sélectionneur des All Blacks Scott Robertson va même plus loin : pour lui, il représente tout ce qui fait un All Blacks. D’autres parlent du concept de “mana” pour décrire l’aura d’Ardie Savea. Ce concept néo-zélandais s’exprime par des qualités personnelles et collectives, d’identité et de fierté. Dans la culture māori, le mana est ce qui fait tourner le Monde, il est en lien avec tout. Mais il a aussi plusieurs faces et peut provenir de différentes qualités : cela peut être l’autorité et le pouvoir que l’on confère à quelqu’un qui sait s’exprimer et défendre ses idées mais aussi le charisme, l’aura que l’on intègre, le respect que l’on attire. Le mana revient surtout à la façon dont l’on prend soin des autres ; de sa famille, de sa communauté, des inconnus. Peu importe d’où l’on vient et qui l’on est, le mana est testé et révélé par nos propres actions.
Ardie met un point d’honneur à respecter sa culture, son pays et tente d’honorer chaque fois le maillot qu’il porte et tout ce que cela implique. Là encore, avant sa centième, il explique : “J’essaye toujours de me rappeler qu’à chaque fois que je porte le maillot des All Blacks, c’est une bénédiction. Et cela va arriver pour la 100ème fois ce week-end. Je suis reconnaissant pour l’équipe, les coachs, les joueurs actuels, les anciens coachs et joueurs ; pour tout le monde qui a fait partie de cet héritage. C’est ce que je représente et la raison pour laquelle je joue.”
Un engagement pour la santé mentale qui dépasse sa propre personne
Ardie Savea est aujourd’hui un des principaux porte-paroles au sujet de la santé mentale et de l’importance d’en parler. Le sujet est désormais plus simple à aborder pour les athlètes, dont la parole se libère petit à petit. Après Jonny Wilkinson et Jonny May, le néo-zélandais s’est montré très vocal sur le sujet. Il explique notamment que pour son bien-être, il switche régulièrement et déconnecte complètement de son sport. Dès qu’il quitte le terrain et son club, il se concentre sur autre chose que le ballon ovale. Il l’explique facilement : “Chacun est différent mais pour moi être parfois loin du rugby est nécessaire. Ça me permet de me libérer l’esprit, d’être au clair. Ca améliore mon rugby et me permet de jouer avec plus d’instinct mais aussi d’être concentré quand je suis sur le terrain.”
Mais déconnecter n’est pas toujours évident à l’heure des réseaux sociaux. Pour l’avoir vécu, le All Black n’hésite pas à parler notamment des fans néo-zélandais qui ne sont pas toujours tendres avec leurs joueurs : “J’ai de l’expérience mais parfois je scrolle sur les réseaux et je vois un article qui parle de moi. Je suis tenté d’aller voir les commentaires, même si je sais que je ne devrais pas. Et malheureusement, tu le fais, tu lis les commentaires du style “this guy sucks” ou “drop his ass”.”
Et dans les moments où les fans ne sont pas toujours bienveillants, comme en ce moment après la défaite, Ardie Savea se reconnecte à ce qui est important pour lui : sa famille. Il abordait notamment le sujet dans un post Instagram lors de la Coupe du Monde de 2019, où il a été compliqué pour lui de rester éloigné de sa famille : “Il y a des moments où je pleurais parce que mes filles me manquaient. Elles étaient à la maison et j’aurais voulu être avec elle. Ca fait déjà 5 semaines.” On apprend aussi qu’il dit gérer de l’anxiété à de nombreux moments de sa vie : quand il doit prendre la parole, quand il doit aller dormir… En plus d’être vocal sur les difficultés qu’il rencontre, il n’hésite pas à prendre la parole sur les solutions qu’il met en place et à encourager sa communauté à également se rendre compte de ses vulnérabilités pour en faire des forces.
Sur un autre plan, le Japon lui a également offert une autre paix d’esprit, car les fans au pays du soleil levant ne sont pas aussi exigeants. Ils t’encouragent et te poussent, sans jamais passer la frontière que certains fans franchissent parfois ailleurs.
Son engagement à ces sujets se ressent aussi dans sa marque ASAV, qui transmet des messages bienveillants et positifs pour pousser sa communauté à s’élever, de la même façon que lui s’élève grâce au rugby et à ses proches. Au delà du simple contexte sportif, il incite surtout autour de lui à prioriser leur santé mentale et à briser la culture du silence. Il sait à quel point il est important pour lui d’être un homme équilibré pour être aussi un bon joueur et vice-versa et c’est probablement sa propre connaissance de lui-même qui en fait un leader équilibré.

Une appartenance culturelle et une identité qu’il est fier de mettre en avant
Avant d’être un All Black, Ardie Savea a également un héritage samoan et māori. Il n’hésite d’ailleurs pas à en parler comme un moteur d’inclusion et de solidarité. C’est d’ailleurs en partie ce qui a motivé sa décision de rejoindre les Moana Pasifika la saison précédente (en plus de la présence de son frère dans l’équipe). Il l’exprime lui-même en disant : “ce sera énorme de pouvoir rendre à mon héritage et ma culture de cette façon si particulière.” A l’époque, il avait même indiqué qu’il savait qu’il allait grandir dans des secteurs qu’il n’avait peut-être même pas envisagé, pour servir et faire grandir l’héritage des Moana Pasifika.
Et quand on regarde dans le rétro, un an après, on peut dire que cela a été une réussite. Autant le joueur que le club ont grandi de cet échange. En effet, le club réalise la meilleure saison de son histoire lors de l’arrivée du capitaine Savea. Au delà d’être un leader pour l’équipe, il a également haussé le niveau de jeu (malgré les doutes émis par les médias et les fans) et a terminé « meilleur joueur de la compétition », quand bien même le club n’a pas participé aux phases finales de la compétition. Il a su faire taire les doutes sportifs et inscrire son nom dans l’histoire de la franchise.
La notion d’héritage est au coeur de la plupart de ses discours et il n’hésite pas à justifier ses choix de cette façon. Son engagement pour la communauté samoane et māori fait partie de ses priorités et il s’engage notamment pour faire évoluer les mentalités, à travers son propre parcours. Il a par exemple écrit un livre pour enfants qui détaille son parcours : “ A One Good Kiwi Story : Ardie Savea” qui détaille son parcours et encourage la jeune génération à poursuivre ses rêves. Ce livre veut montrer aux jeunes générations néo-zélandaises et saomanes que l’on peut réussir, peu import d’où l’on vient. Il l’écrit avec One NZ’s One Good Kiwi, une organisation caritative qui redistribue plus de 100 000 dollars par mois à des oeuvres de bienfaisance dans tout le pays.
Ce qu’il s’entête à dire également, c’est que même en venant d’un environnement modeste, on peut réussir et s’élever. À l’image de ses parents, qui ont quitté les îles Samoa pour s’installer en Nouvelle-Zélande et offrir une nouvelle chance à leur famille. Son père était boulanger de nuit et façonnait des pains. Il explique qu’ils mangeaient des tartes à tous les repas et que cela n’avait rien de luxueux. Mais malgré cela, ils ne manquaient de rien et pouvaient s’épanouir en tant qu’enfants. Et pour cela, il est immensément reconnaissant et souhaite aider sa communauté à s’élever de la même façon et à croire en leur rêve. Son nom « Savea », qui était jadis « Saveatam » provient de ses racines. De deux modestes villages : Luatuanu’u et Si’umu. Cette spiritualité, il la tient de cette éducation et de ces origines, qu’il puise dans les îles Māoris.
Éducation durant laquelle il a aussi beaucoup expérimenté. À l’image par exemple du « Challenge du Tout Droit » sur lequel il avait pris la parole lors de la mort d’un jeune néo-zélandais. Sans jamais renier que lui aussi avait pu le faire plus jeune, il en a exprimé les dangers et a appelé les jeunes à la plus grande prudence. Et ce qui marche dans son discours, c’est son authenticité et cette facilité à relier cela à sa propre expérience, même lorsque cela n’est pas « glorieux ». Il n’a jamais peur de parler de ses propres faiblesses pour alerter sur les dangers qu’il entrevoit. Et cela fait nécessairement cliquer les jeunes de sa communauté qui se disent que malgré les mauvais choix qu’il aurait pu faire auparavant, il a tout de même réussi à s’élever la ou il en est aujourd’hui.
Pour résumer, si Ardie Savea est aujourd’hui reconnu comme un des meilleurs joueurs de rugby, il n’en est pas moins un homme qui utilise sa plateforme pour éduquer et faire grandir sa communauté. Un athlète qui dépasse le simple statut de sportif et utilise son influence à bon escient. Après la défaite de ce samedi, ce statut et cette influence seront sûrement primordiaux pour faire basculer les All Blacks du bon côté et pour relever la tête après avoir été chahuté sur le terrain mais aussi dans la presse. Le centurion devra mener son équipe pour faire taire la critique et repartir sur le bon pied.