George Russell : « Puis j’ai compris : mon père faisait exprès d’appuyer sur le chronomètre en retard. Il ajoutait des secondes à mon temps. »

Dans un texte publié par The Players’ Tribune, George Russell évoque sa relation au temps, son évolution dans le monde de la course automobile. Il cite également les personnes qui l’ont accompagné jusqu’à cette place en Formule 1 chez Mercedes. Il decrit également les sacrifices que sa famille a dû faire mais aussi la façon dont il a vécu son enfance, entre école et go kart.

On vous conseille fortement d’aller lire ce texte qui est un concentré de vérité rédigé par l’athlète lui-même, mais pour ceux qui ne sont pas forcément à l’aise en anglais, nous vous avons résumé les passages marquants de ce récit.

Pour les acteurs du sport qui le souhaitent, il vous est également possible d'envoyer vos textes à l'adresse mail chloe@entreleslignesmedia.fr

Le chronomètre

« Le chronomètre. Cela résume ce chemin jusqu’à la F1 en une seule image. Ce chronomètre des années 80. Quand j’ai commencé à conduire, en tant qu’enfant, nous n’avions pas encore tous les écrans de statistiques qui te disent ton temps de tour comme ils ont maintenant. Donc mon père avait ce chronomètre, qu’il utilisait quand on s’entrainait avec les karts. »

Il poursuit ensuite : « Je conduisais le plus vite que je pouvais. Je pense que c’était la peur qui me poussait. Je n’avais pas peur des karts, de la vitesse ou du circuit. Non, j’avais peur du chronomètre. Il était comme mon ennemi mortel. C’était comme si ; peu importe à quel point j’étais en contrôle, mon dos contre le siège, avec un grip parfait, en appuyant sur la pédale dans les tournants et en relâchant au bon moment, sans déraper, sans décélérer, juste un « straight momentum » tout le long du tour. Je levais la tête, je regardais mon père et je savais. Je savais. » Il le questionnait sur son temps et son père lui demandait de recommencer, froidement. Les semaines de courses s’enchaînaient et George Russell ne se pensait donc pas le plus rapide. Mais bizarrement, il gagnait les courses. Difficile à expliquer pour un enfant : « J’étais déconcerté, plus qu’autre chose. Le jeudi, avec mon père, je me crois médiocre. Et le samedi, je soulève le trophée. » Pendant trois ans, il a gagné tout ce qu’il pouvait et l’engrenage continuait. Click sur le chronomètre. « Non, recommence. »

Il a mis 6 ans à comprendre : « Mon père faisait exprès d’appuyer sur le chronomètre en retard. Il ajoutait des secondes à mon temps. Il voulait que je crois que j’étais juste un petit peu plus lent que ce que j’étais. Même quand je gagnais tout, je pouvais toujours pousser un peu plus. Un tout petit peu plus. »

Les sacrifices de ses parents

Il explique qu’ils ont vécu au rythme du karting pendant toute son enfance. Son père l’accompagnait partout et voulait « toujours plus de moi. Je pense qu’il savait qu’il me faudrait plus pour être dans un de ces 20 sièges. » Ils voyageaient ainsi en caravane de circuits en circuits, comme une famille heureuse. Mais s’il se faisait dépasser ou qu’il faisait une erreur sur le circuit, le retour pouvait parfois être compliqué.

En tant qu’enfant, il assure que « c’était peut-être la part la plus compliquée. Tu vois et ressens tout. Tu as le sentiment que c’est de ta faute. » George Russell revient aussi sur le fait qu’il était un peu un enfant solitaire, qu’il n’avait pas beaucoup d’amis à l’école et qu’il était difficile d’avoir des amis dans le karting. Mais « pour moi, ce n’était pas un sacrifice. C’était une décision. Je voulais être sur les circuits. Je voulais faire la course. Je voulais gagner. »

Ce n’est qu’en grandissant qu’il s’est rendu compte du stress que subissaient ses parents. « Il a tout mis en jeu. Quand je grandissais, on était assez confortables pour avoir une belle vie, ce dont je suis très reconnaissant. Mais en étant honnête, nous n’étions pas assez riches pour que j’aie une carrière dans la course automobile. Tout additionné, mon père a du dépenser presque un million de pounds dans ma carrière. C’est une énorme somme et ça ne te mène même pas à la moitié du chemin pour la Formule 1. » Comme Ardie Savea, George Russell met en avant l’investissement de ses parents pour atteindre le haut niveau.

Il revient aussi sur son apprentissage et la façon dont son père lui a appris à conduire : « Est-ce que j’aurais préféré avoir une relation avec mon père où il me tapote sur la tête et me dit que tout va bien ? Maintenant que je sais ce que je sais et que cette difficulté, rigidité m’a lancée dans la vie ? Non, mon père m’a donné une enfance classique. Mais il a mis la main à la poche et m’a donné tout l’argent qu’il possédait. Il a vendu son business pour financer ma compétition. Et il a sacrifié quelque chose d’inestimable : le temps. Chaque seconde éveillé, il l’a sacrifiée pour mon rêve. »

Un bel hommage à son père, qui à ses 16 ans, lui signifie qu’ils n’ont plus les moyens de financer sa carrière, alors qu’il entre en Formule 4. Alors, George prend les choses en mains.

Max Verstappen et George Russell à l'époque du karting (via Reddit)
Max Verstappen et George Russell à l’époque du karting (via Reddit)

De la Formule 4 à la Formule 1

« C’est le moment de s’imposer et de faire en sorte que ça arrive. » A partir de ce moment-là, George Russell prend sa carrière en main. Il écrit des mails, accompagnés par son agent et récupère le contact de Toto Wolff, à qui il écrit pour des « conseils ». Il reçoit une réponse positive en 15 minutes. Alors en Formule 3, il avait déjà eu de bonnes discussions avec McLaren, des contacts avec Red Bull… Mais il rencontre Toto.

Après plusieurs échanges, Mercedes décide de le signer. « Et bien sûr, à ce moment fou où mon rêve d’enfance est devenu réalité, j’ai pensé à mon père. Je ne pouvais pas attendre pour lui raconter tous les détails. Et je ne sais pas à quoi je m’attendais mais il ne m’a pas enterré sous les questions, il n’a même pas demandé à venir au rendez-vous. Il m’a félicité et m’a enlacé. J’ai l’impression que j’étais dans une cage depuis si longtemps et qu’il me préparait et m’aidait à devenir ce que j’étais. Mais dès que j’ai signé avec Mercedes, c’est comme s’il me laissait prendre mon envol. »

Dans ce bel article qui est une ode aux personnes qui l’ont accompagné, George Russell s’ouvre et prend le temps de parler de sa notion au temps et à la course. « Quand la course est dans votre sang, tout a un lien avec le temps. C’est comme ça depuis que j’ai dix ans. Tout ce que je fais depuis le moment où je me réveille jusqu’au coucher est planifié à la seconde pour répondre à la question : est-ce que cela me rend plus rapide ? » Il poursuit ensuite : « C’est la première fois en plusieurs années que je prends du temps pour quelque chose qui ne me fait pas aller plus vite. Mais je suis content de pouvoir poser mes pensées sur le papier et de raconter ma vraie histoire : mon vrai chemin jusqu’à ce siège. »

D’un champion discret, cette confession honnête semble importante, à la fois car elle est sans concession mais aussi car elle met en lumière ceux qui ont fait de lui le George Russell d’aujourd’hui.

More From Forest Beat

Enzo Lefort en compétition (V. Joly/L'Équipe)

Enzo Lefort raconte son contrôle anti-dopage inopiné à 5h10 du matin

Dans une chronique écrite pour le Magazine L'Equipe, Enzo Lefort décrit les situations parfois ubuesques vécues dans le cadre des contrôles anti-dopage. Nous vous...
Actualités
3
minutes
Will Percillier sous le maillot du Stade Français Paris ©️ Stade Français Paris

Will Percillier : « Tombez amoureux de ce que vous faites. Si...

Dans un échange posté sur la chaine Youtube de Raffaele Storti, Will Percillier est revenu sur sa carrière et sa décision d'arrêter le rugby...
Actualités
2
minutes
Rafaelle Costa Storti parle de sa série Inside the Game ©️ FC Grenoble

Inside the Game : la nouvelle série de Raffaele Storti

Raffaele Storti nous parle de sa série Inside The Game qu'il partage sur ses réseaux sociaux.
a la une
12
minutes
Eli Katoa, 2ème ligne des Tonga, a subi une chirurgie après trois chocs à la tête pendant le même match

Le cas Eli Katoa : Les conséquences d’un choc à la...

Lors du match opposant les Tonga à la Nouvelle-Zélande, Eli Katoa a subi trois chocs à la tête et a dû être opéré d'urgence.
Actualités
6
minutes
spot_imgspot_img